Nous sommes en plein XVIème siècle, l’église séculaire de Nieigles domine la vallée de l’Ardèche du haut de ses 540 mètres d’altitude.

Cette église datant du Xème siècle règne sur la commune de Nieigles, entourée de ses maisons de type cévenol ainsi que de ses quartiers bas comme La Baume, La Levade…

Les habitants de ces contrées mènent alors une vie de labeur dans ce coin d’Ardèche à mi-chemin entre Auvergne et Languedoc et la vie s’écoule lentement pour tous ces Cévenols.

Au XVIIIème siècle et,  plus précisément en 1716, le roi ordonne l’ouverture d’une grande voie de communication entre ces deux provinces.

Ce n’est qu’après de longues palabres que celle-ci voit le jour en 1759, passant par la capitale de l’Ardèche Méridionale, Aubenas, pour rejoindre Le Puy en Velay.

La voie royale est née. Avec cette construction et ces travaux gigantesques pour l’époque, elle ouvre des perspectives d’avenir économiques prometteuses dans ce pays desservi uniquement par des chemins muletiers.

Le tracé de cette voie suit naturellement celui de la rivière Ardèche et le quartier de La Baume, sur la commune, en est un exemple parfait.

Dès l’ouverture de cette voie, des auberges, des commerces, des usines et des habitations sont construits le long de celle-ci, où, les diligences, pataches et autres véhicules hippomobiles de transport en tous genres, sont nombreux.

C’est ainsi que naît le village de La Baume, toujours sur la commune de Nieigles, et qui prendra son nom actuel suite à la construction du pont sur la rivière Ardèche.

Voilà donc tout trouvé le nom de la future commune de Pont de Labeaume faisant référence à la grotte dans la falaise basaltique, issue de l’ancien français «balma» et du pont nouvellement construit.

Nous sommes en 1846, et les habitants des quartiers de La Baume et de La Levade commencent à demander aux autorités religieuses d’ériger en paroisse  ces quartiers très peuplés, prétextant du fait de ce lieu de culte qu’est Nieigles «haut perché et difficile d’accès».

Cette demande ne tarde pas à germer dans l’esprit des habitants et, après quelques années de déchirements entre les populations, les autorités civiles divisent la commune de Nieigles en deux communes distinctes, Lalevade et Pont de Labeaume, par une loi du 15 décembre 1903.

Voilà donc l’histoire récente de ce village cévenol riche de quelques six cents âmes qui vous accueille, aujourd’hui, entre l’antique église de Nieigles qui veille et le château de Ventadour qui nous surveille.

Patrimoine bâti

Les ponts

L’Ardèche est un département atypique du point de vue de ses communications qui enjambent les divers torrents qui la composent. N’a-t-on pas l’habitude de l’appeler « le département aux 2200 ponts » ?

La commune de Pont-de-Labeaume n’échappe à cette règle. Ce ne sont pas moins de six ponts qui composent son territoire. Sans faire un inventaire exhaustif, les trois principaux peuvent être cités :

Le pont dans le village : celui-ci fut édifié entre 1725 et 1735 afin de desservir le hameau de Nieigles. Il est composé de 4 arches qui surplombent de 15 m les eaux de la rivière Ardèche. La terrible crue de 1857 détruisit la 4ème arche coté village qui fut reconstruite en bois, jusqu’en 1890 où la crue du 22 septembre 1890 fit de même. C’est en 1892 qu’il sera reconstruit en partie dans sa forme actuelle.

Le pont de Rolandy : s’inscrivant dans la construction de la grande route Auvergne-Languedoc, le pont de Rolandy date de 1762. Ce pont fut, plusieurs fois détruit par les terribles crues de l’Ardèche. Le pont originel se composait de 3 arches de 15 m d’ouverture.

La grande crue de 1857 détruisit ce pont dans son intégralité ; dans l’urgence, on lui substitua un pont en bois de type américain qui ne résista pas plus à la crue de 1859. Il fut alors décidé de construire un pont en fer avec une ouverture plus importante, c’est une société de la Loire qui fut chargé de livrer ce pont en 1867. Celui-ci ne résista pas plus que ses prédécesseurs à la crue du 22 septembre 1890 et fut reconstruit en 1892 dans sa forme actuelle.

La passerelle de Bayzan : nous ne connaissons pas la date de l’édification de ce pont, cependant en 1772, un acte de vente fait état de ce pont dit Pont Paille car il servait de passage pour alimenter une papeterie fabricant du papier paille. La crue du 22 septembre 1890 détruisit le pont ainsi que les bâtiments de la papeterie. A la suite de cela, le pont fut reconstruit dans sa forme actuelle et, en 1938, il fut l’objet d’un don à la commune par les propriétaires d’alors qui n’en avaient plus l’utilité.

Le pont romain

Sur la rivière Lignon qui prend sa source sur le Tanargue, au niveau du hameau de Réjus, se dressent deux ponts pour relier les communes de Pont-De-Labeaume et de Meyras.

En contrebas de pont routier actuel se situe le pont dit Romain. Il était censé desservir les voies romaines de Gergovie et d’Aquitaine comme le montrent les photos ci-après.

Ce qui est certain, c’est qu’une voie romaine était bien présente sur les lieux ainsi qu’ en atteste la borne milliaire retrouvée dans les années 1880 et qui se trouve actuellement devant l’église du village.

Cette borne dédiée à l’empereur romain Constantin II porte l’inscription suivante : « A l’empereur César Flavius Valerius Constantin, pieux Nobilissime César, fils du Divin Constantin Auguste né par le bien de l’état ».

L’église de Nieigles

L’église de Nieigles remonte très probablement au Xème siècle. Selon quelques écrits, le prieuré de Nieigles remonte à Guy D’Anjou, évêque du Puy de 975 à 996.

Le prieuré de Nieigles aurait fait don à Notre Dame du Puy d’une « Fascia Vinéa » situé dans la villa Nido Aquilino .

En l’an 1164, l’église Sainte Marie de Nieigles est confirmée au chapitre des évêques du Puy, par une bulle du Pape Alexandre III.

Cette possession est à nouveau confirmée en 1267 par une bulle du pape Clément IV, ancien évêque du Puy.

L’église de Nieigles possède un clocher de forme massive, édifié au XVIIème siècle. Après plusieurs décennies de restauration, elle mérite une visite, car ce joyau fait partie intégrante du circuit des églises romanes.

Les terrasses : une image de l’Ardèche

Les paysages de terrasses sont un caractère de l’Ardèche.

On peut les rencontrer un peu partout dans le département, de la Cévenne aux Boutiéres, dans le haut comme dans le bas Vivarais, une seule région échappe à ce paysage : la montagne ardéchoise.

Ces terrasses sont donc des aménagements sur les versants des collines, qui rendaient possibles les cultures là où elles ne pouvaient l’être du fait de la déclivité du terrain naturel.

On peut se demander pourquoi les hommes de ces terroirs s’acharnèrent à construire ainsi la montagne ?

Ces terrasses (ou Faïsses en dialecte local) sont avant tout l’œuvre d’une population abondante en quête de surface cultivable pour sa survie; dans des zones géologiques difficiles, retenir une terre rare et précieuse, soumise à l’érosion des pluies violentes, fut la préoccupation majeure des habitants de ces contrées.

Si la technique des terrasses est connue depuis le Néolithique, on peut penser que ce sont les romains qui l’ont introduite sur la façade Est du département (vallée du Rhône).

La première référence apparait au Xème siècle avec la donation d’une Fascia Vinea par un évêque du Puy sur la commune de Nieglas.

En 1464, la commune de Thines mentionne les terrasses sous le vocable de Faissas.

Vers 1600, le célèbre agronome ardéchois «Olivier de Serres» préconise la construction de murailles en pierres sèches pour adoucir la pente …

Mais c’est dans les années 1800 / 1900 que fut construite la majorité des terrasses par une population en pleine expansion démographique.

S’il y eut, au cours d’une dizaine de siècles, plusieurs phases de création et d’abandon de ces moyens de culture, l’abandon progressif de ces faïsses qui démarra depuis 1850, et qui se poursuit encore de nos jours laisse sous nos yeux un patrimoine remarquable se décomposer.

Trois séries de catastrophes agricoles ont provoqué cette dernière phase d’abandon.

En effet, des 1849, la Pébrine, maladie du ver à soie, décime les élevages, première ressource agricole du département. A cela s’ajoutent le mildiou et le phylloxera en 1851 et 1867 qui ravagent la majorité du vignoble, deuxième ressource agricole. Enfin, dès 1875, ce fut au tour de la châtaigneraie qui fut atteinte par l’encre ; peu à peu, l’arbre à pain fut abattu et vendu aux usines de tanin, grosses consommatrices de bois.

A ces trois fléaux s’ajoutent l’attrait pour la ville, la création du chemin de fer qui facilitera l’exode, la première guerre mondiale qui fera une hécatombe dans le département et, enfin, la mécanisation en plaine qui marginalisera le travail à la main sur les terrasses.

Tout cela en un siècle… et nous comprenons mieux pourquoi ce paysage nourricier construit par tant de paysans acharnés a été abandonné ; cette fois à tout jamais ?

Patrimoine naturel

L’eau, force motrice

Depuis des temps immémoriaux, les habitants de la commune et du département en général utilisaient l’eau des rivières pour assurer la force motrice des nombreuses usines de soie.

Sur la commune, ce ne sont pas moins de 9 ateliers plus ou moins grands qui utilisaient cette force.

Le principe général était de construire un barrage sur la rivière tout en créant une amenée d’eau par un canal qui alimentait une roue produisant les besoins moteurs pour la filature et autres ateliers de scierie, tourneur sur bois, …

C’est ainsi que le barrage de Beaume sur l’Ardèche et le barrage sur la Fontaulière ont été édifiés pour alimenter les nombreux ateliers de moulinage de la commune.

De nos jours, il reste encore quelques témoins importants de ce patrimoine industriel qui a disparu au cours du XXème siècle par l’avènement de l’électricité et des fils synthétiques.

Le murier ou l’arbre d’or

Le mûrier a été l’objet d’une véritable vénération du temps de la grande époque de la sériciculture (élevage du ver à soie)

L’arbre d’or est resté longtemps un élément économique important du paysage cévenol et vivarois.

Ancré dans nos terres cévenoles, cet arbre a généré un immense et ardent élan vital apportant une période de prospérité aux populations, juste récompense des durs travaux accomplis par plusieurs générations paysannes.

Les plus anciens documents qui attestent de la sériciculture en Ardèche remontent à 1234 où l’on «expédiait du port de Marseille des ouvrages de soie provenant des Cévennes».

C’est surtout à partir de 1601, sur les conseils du célèbre agronome ardéchois, Olivier de Serres, qu’Henri IV donna une importance considérable à la sériciculture par une politique volontariste.

Vers 1660, Colbert donna encore un nouvel essor à celle-ci permettant de faire vivre une population ardéchoise en pleine expansion.

Il fallut le terrible hiver de 1709 qui gela une grande partie de la châtaigneraie ardéchoise pour que les paysans cévenols se tournent vers la plantation massive du mûrier et l’élevage du ver à soie tout en conservant les châtaigniers pour les besoins vitaux : ne les a-t-on pas appelés « arbres à pain »

Il y avait en Ardèche environ 2 millions de mûriers en 1853 ; de 1720 à 1856, la production séricicole battait son plein, les activités liées à la soie connaissent un essor fulgurant apportant une véritable richesse dans le pays.

Utilisant la force motrice de l’eau des rivières, les usines de soie sont nombreuses ; en 1850, il y a en Ardèche plus de 350 usines de moulinage ou de filatures employant environ 13000 personnes.

A partir de 1856, la production chuta brutalement due à une terrible maladie du ver à soie, «la pébrine» qui décima les élevages.

Le déclin de la sériciculture avait sonné.

En 1869, avec l’ouverture du canal de Suez, les produits d’Extrême-Orient viennent concurrencer la production française, ce qui entraîne la chute du prix des cocons.

Découragés par ces différents échecs, les agriculteurs délaissent peu à peu la culture du mûrier pour se tourner vers d’autres plantations, la vigne en particulier, notamment dans le sud Ardèche.

Au début du XXème siècle, l’invention des textiles artificiels portera un dernier coup, fatal celui-ci, à l’industrie séricicole. Peu à peu, l’industrie de la soie périclitera entraînant la fermeture des usines, favorisant l’exode rural et l’abandon des terres cultivables.

Malgré le regain partiel d’activité des usines textiles par l’introduction du fil artificiel, la deuxième moitié du XXème siècle aura été le témoin de la disparition quasi totale de cette activité industrielle de l’Ardèche.

Les fèbles de Nieigles

Je ne sais si les gens de Niéigles sont faibles d’esprit, mais en se référant au texte ci-dessous on pourrait le penser; je laisse seul juge le lecteur de ce texte retrouvé dans un livre datant du 19ème siècle.

Je reproduis ici ce texte in extenso, mis à part un ou deux passages où, l’auteur ayant pris quelques libertés avec la géographie locale je me devais de le rectifier.

Oh l qui peindra la joie d’Auguste en écoutant les féblés de Nieigles, débités en guise de monologue avec un joli accent méridional, élargissant les voyelles brèves, rétrécissant les voyelles longues, et scandant toutes les syllabes.

La commune de Niéigles s’étant donné une église neuve, il lui fallait un bon Dieu pour son église. Une délégation de trois personnes partit donc présenter la requête de leurs concitoyens à Viviers. L’évêque étant absent, c’est l’un des grands vicaires qui les reçut en sa place.

Or le grand vicaire aimait à rire, les bonnes gens de Nieigles lui paraissant si crédules, il se donna le plaisir de leur jouer un tour à sa façon.

Un bon Dieu ! Mes amis, je veux bien vous en donner un à l’instant, mais gardez-vous de le perdre en route, je ne pourrais le remplacer.

Mr le grand vicaire étant plus moqueur que dévotieux, remit aux délégués un petit paquet bien ficelé, dûment cacheté, leur recommandant de ne point regarder ce qu’il contenait avant d’être arrivés dans leur église.

Transporter un bon Dieu sans être pris d’envie de le voir, c’était au-dessus des forces humaines. Les gens de Niéigles tinrent bon jusqu’à Dangére, là, ils défirent le paquet qui contenait une gourde bouchée. Une gourde ! Ce ne pouvait être leur bon Dieu … Par conséquent, ce bon Dieu devait y être enfermé ?

Ils tournent, retournent la gourde, la soupèsent, étonnés qu’elle soit si légère, ils la secouent un peu, l’un d’eux la frappe du bout du doigt, alors il en sort une voix qui répète plusieurs fois : Voun, voun, voun. Eperdus de frayeur, les délégués sont prêts de laisser tomber la gourde du fond de laquelle leur bon Dieu leur a parlé; mais la voix se taisant, ils reprennent un peu d’assurance et se remettent en route.

L’un des trois, plus avisé que les autres, pensa qu’en interrogeant de nouveau le bon Dieu, on obtiendrait peut-être une réponse intelligible. Quand vint son tour de porter la précieuse gourde, il la frappa du bout des doigts : toc, toc, toc. Voun, voun, voun fit le bon Dieu ; ce qui en patois veut dire : où, où, où. Les délégués avaient compris, ils s’écrièrent : O Niéigles boun Diéou «à Niéigles bon Dieu » !

A Lévade, ils avaient tant conversé avec leur bon Dieu qu’ils furent pris d’un désir irrésistible de le voir ; après quelques hésitations, ils enlevèrent le bouchon doucement, doucement pour glisser un regard dans la gourde. A peine celle-ci fut-elle ouverte que leur bon Dieu s’échappa sous la forme d’un frelon, disant toujours : Voun, voun, voun. Et nos gens de courir après, criant à qui mieux mieux : O Nie’igles boun Diéou, O Niéigles boun Diéou…

L’un bougonnant, les autres criant, ils firent un assez beau chemin, mais les curieux durent revenir chez eux sans bon Dieu. Ils ne rapportaient que la gourde vide qui fut suspendue à la voûte de l’église, sans doute afin d’avertir le reste de la paroisse des dangers de la curiosité ; ils rapportaient encore le surnom de fébles qu’ils avaient bien mérité, l’on en conviendra.

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