De plus en plus de frontaliers du sud-est de la France se rendent en Italie, plus précisément à Vintimille, afin d’acheter du tabac à moindre coût. Cette tendance devrait même s’accentuer puisque le conseil d’Etat demande au gouvernement de multiplier par quatre le quota d’importation autorisée. Un quota par ailleurs loin d’être respecté actuellement.
David et Sophie ont des sacs remplis de courses. Ils sont venus faire le plein à Vintimille, première grande commune italienne de l’autre côté de la frontière. « On a pris de la charcuterie à la truffe, du fromage à la truffe, tout ce qui est à la truffe. J’adore ça et les prix sont bien plus intéressants qu’en France », indique David. Mais si les trentenaires ont fait 190 km depuis Toulon, et payé les péages qui vont avec, c’est avant tout pour repartir avec des cartouches de cigarettes. « Elles sont plus de fois moins chères. C’est donc rentable même avec le coup du déplacement », assure Sophie.
Comme ce couple, les fumeurs frontaliers du sud-est de l’Hexagone sont de plus en plus nombreux à faire la route en voiture ou en train pour refaire leur stock. Une habitude qui ne devrait pas faiblir avec les dernières annonces antitabac du gouvernement, qui compte porter le prix du paquet à 13 euros d’ici trois ans.
Si l’Italie conserve ses prix, le tourisme commercial aura probablement de beaux jours devant lui. Un tourisme qui s’effectue pourtant, de bonne foi ou non en dehors de la loi dans la plupart des cas. Depuis trois ans, la France plafonne à 200, soit une cartouche, le nombre maximal de cigarettes pouvant être ramené, par personne, d’un Etat de l’Union européenne. Hors cigarettes classiques, les fumeurs peuvent rapporter au maximum 100 cigarillos, 501 cigares ou 250g de tabac à rouler.
Etablie après le premier confinement, cette législation est aujourd’hui remise en question via une décision du conseil d’Etat. La juridiction administrative compterait multiplier par quatre le quota afin de coller aux réglementations européennes. L’Etat a jusqu’au mois de mars 2024 pour se conformer à cette décision, par ailleurs vivement critiquée par des députés. Ces derniers ont même lancé une proposition de loi visant au contraire à stopper ce marché parallèle du tabac.
En attendant, David et Sophie, eux, ont quitté Vintimille avec plus quatre fois le quota maximal autorisé d’après les règles en vigueur. Le couple a acheté neuf cartouches, cinq de Marlboro à 60 euros et quatre de Philip Morris à 52 euros. Mais selon David, une cartouche revient à une amie, qui aide le couple en payant une partie de l’essence. « Honnêtement, je ne savais pas qu’on dépassait le quota. D’autant plus qu’ici, dans les tabacs, ils voient bien qu’on est français et ils nous en vendent autant qu’on veut », explique Sophie, avant de s’agacer : « Et pourquoi chez nous, on ne fait jamais comme tout le monde ? C’est encore une manière qu’à trouver l’Etat pour nous ponctionner davantage ? ».
Que le couple se rassure, la règle pourrait donc bientôt évoluer. C’est après avoir été saisi par un étudiant de 22 ans que le conseil d’Etat a rappelé à Elisabeth Borne à l’ordre. Dans une décision du 29 septembre, il a enjoint la Première ministre à prendre un décret pour se plier aux textes européens, qui table la limite à 800 cigarettes, donc quatre cartouches, par personne.
Le cabinet de Mme Borne informe que la France va mettre à profit les quatre mois restants de délais pour mener des concertations et voir si elle procède à la mise en conformité. En parallèle, des députés Horizons, soutenus par les ministres de la Santé et du Budget, ont déposé une proposition de loi obligeant les cigarettiers à ne livrer aux différents pays européens que les quantités de cartouches correspondant à la consommation sur leur propre territoire. L’objectif serait donc de ne plus permettre à nos pays voisins de vendre des cigarettes à des consommateurs étrangers.
Mais pour l’instant, on reste sur un état actuel des choses. « Quelle que soit la décision, l’accent doit continuer à être mis sur la lutte contre les trafics, le renforcement des contrôles à la frontière ainsi que les sanctions applicables », informe un porte-parole du gouvernement. Les acheteurs interpellés pour dépassement de quota doivent payer des « droits de consommation » (210 euros pour cinq cartouches par exemple) et risquent également une peine de prison d’un an et une amende 750 euros. Les douaniers peuvent aussi confisquer les produits et le véhicule ayant servi à leur transport.
D’après les témoignages recueillis à Vintimille, les contrôles sont très rares, voire inexistants. « Franchement, on vient régulièrement, et on ne nous a jamais rien demandé quand on repasse la frontière à Menton. Je crois qu’ils ont d’autres choses à faire avec l’explosion du nombre de migrants » affirme Grégory, de passage dans la ville italienne et qui dépasse lui aussi le seuil réglementaire de tabac à importer.
Pour sa part, David, gérant d’un des bureaux de tabac à Vintimille, estime que « les gendarmes n’osent pas confisquer parce qu’ils savent eux-mêmes que la loi française n’est pas réglo. Aucun client ne m’a jamais dit qu’il avait eu un quelconque problème », précise-t-il dans un français impeccable.
Les commerçants locaux maîtrisent tous la langue de Molière, ou au moins quelques bases, afin d’échanger avec le nombre toujours plus important de visiteurs hexagonaux. Une réalité d’autant plus prégnante chez les buralistes. « Mais il ne faut pas oublier que jusqu’en 2002, ce sont les Italiens qui allaient acheter leur tabac en France. A l’époque, c’était moins cher là-bas », poursuit David.
Leurs confrères des Alpes-Maritimes avaient alors de quoi être satisfaits. Ils ont depuis perdu leurs clients, et donc leur sourire. Et la perspective de voir la France remonter son seuil au niveau européen ne va évidemment pas satisfaire les buralistes du pays.
« Pourquoi on ne demanderait pas à l’Europe d’aller plutôt dans le sens d’une seule cartouche partout, ce qui est bien pour limiter la consommation. Avec ce qui se passe actuellement, on fait fuir des milliards d’euros de taxes. L’autre problème, c’est effectivement qu’il y a trop peu de contrôles avec les moyens qui sont donnés à la frontière », s’interroge Pierre Romero, président de la Fédération des buralistes des Alpes-Maritimes.
L’antenne départementale de sa confédération compte financer une campagne d’affichage afin de rappeler aux contrevenants les risques encourus en cas de dépassement de quota. Elle prévoit également de transformer le métier de buraliste. C’est dans cette optique que la confédération a signé, jeudi 30 novembre dernier, une convention avec la CCI Nice Côte d’Azur pour faire progressivement « évoluer les professionnels en « commerçants d’utilité locale » aux multiproduits et services ».
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